Vendredi
16 octobre 2020. Un homme est assassiné dans une ville de France. Cet
homme avait un nom : Samuel Paty. Cet homme avait un métier : professeur
d’histoire-géographie. Le nôtre. Il a été tué parce qu’il était notre
collègue et faisait son métier comme nous le faisons. L’Association des
Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) s’incline humblement
devant sa mémoire et nous, professeurs, entourons sa famille, ses
proches, ses collègues et ses élèves de toute notre affection. Toutes et
tous sidérés, nous vivons aujourd’hui le temps du deuil. Cet acte
barbare inqualifiable nous plonge dans l’effroi mais ne nous laissera
pas sans voix.
Les questions ne cessent de se
bousculer depuis hier soir face à ce crime odieux. Comment continuer à
enseigner et à faire aimer ce beau métier aux plus jeunes collègues, qui
nous rejoignent ? Comment éviter l’autocensure face à la haine ?
Comment éviter les instrumentalisations, qui ne manqueront pas de
survenir ? La Justice fera toute la lumière sur les circonstances de ce
meurtre ignoble et lâche ; la République le doit à un
historien-géographe de métier et à un fonctionnaire de l’Etat.
Au-delà des mots et de l’émotion partagée, l’APHG est convaincue que
c’est en redonnant un idéal républicain à toute la jeunesse par
l’éducation, le savoir et la tolérance que l’obscurantisme sera vaincu.
L’Histoire, la Géographie et l’Enseignement Moral et Civique ne
sauraient porter à elles seules cet idéal, constamment à promouvoir,
mais ces disciplines y contribuent pleinement, et en première ligne.
Professeur, Samuel Paty l’était, par sa formation
intellectuelle et l’exercice d’un métier. L’enseignant
d’histoire-géographie est toujours tendu entre deux registres dans son
activité professionnelle ; l’histoire et la géographie scientifiques,
universitaires, d’une part, et l’histoire et la géographie adossées à la
société, dont elle ne peut ni en ignorer les remous, ni éviter d’en
ressentir les effets, d’autre part. En 2015, après les attentats, l’APHG
a mené des enquêtes auprès des enseignants et a publié des témoignages
inédits [1].
Elle a poursuivi ce travail sur le terrain. Nous ne pouvons cacher que
des fissures, dont on connaissait déjà la présence, se révèlent plus
profondes, répandues, rendant plus criantes encore les situations
d’inégalités entre les territoires et les atteintes aux valeurs de la
République, notre bien commun. Des groupes multiples et d’intérêts
divers, entretenant la confusion des vocabulaires sur la laïcité, la
liberté d’expression, la liberté de conscience ou l’enseignement du fait
religieux, tentent de plus en plus ouvertement de faire prévaloir au
sein de l’Ecole leur point de vue particulier. L’APHG réaffirme avec
force l’autonomie des professeurs - la liberté pédagogique -, en ce qui
concerne les contenus de l’enseignement. L’enseignant est maître
d’ouvrage dans sa classe, dans le cadre strict des prescriptions des
programmes pilotés par l’Etat et dans la mesure où ce qui est enseigné
s’inscrit dans les limites du consensus scientifique établi par les
méthodes de la recherche la mieux informée et renouvelée. La liberté
pédagogique est ainsi constitutive de notre école, elle consiste à
chercher et dire le vrai, et aucun groupe ne peut s’arroger le droit de
dicter ce que nous devons dire et enseigner en classe. C’est en
exerçant son métier, par la Connaissance, que le professeur émancipe ses
élèves.
Fonctionnaire, Samuel Paty incarnait l’autorité de
l’Etat. Le fonctionnaire de l’Education nationale et de l’Enseignement
supérieur apporte non seulement à ses élèves des outils intellectuels
avec des gestes professionnels précis et adaptés à l’âge de chacun comme
au contexte d’enseignement, mais il a pour ambition d’en faire des
citoyens libres, respectueux, éclairés, capables de débattre avec des
mots ; à l’opposé de toute soumission ou de toute violence physique. Il
se pose inlassablement cette question dans l’exercice de son métier :
comment faire vivre ensemble, au sein d’une même société, toute notre
jeunesse ? Par une notion élaborée par l’Histoire et par l’expérience,
la République, qui ne veut ni contraindre, ni exclure, ni construire
murs et séparations, a choisi la laïcité. C’est bien dans ce cadre,
matrice des libertés fondamentales, celles de croire, de ne pas croire,
ou de changer de croyance, que le fonctionnaire agit.
L’APHG tient ainsi à promouvoir un esprit de résistance face à l’obscurantisme et à la terreur.
Nous tenons à affirmer avec la plus grande fermeté notre attachement
sans failles à un enseignement qui ouvre les élèves à l’esprit critique
et à la liberté du jugement individuel. C’est une condition
indispensable à la réalisation d’un régime démocratique et d’une
société apaisée.
Cela implique un travail de fond dans les classes à tous les niveaux.
Nous avons la conviction que les enseignants continueront à enseigner
dans cette direction avec le soutien de l’institution.
Cela nécessite, de la part de l’Etat, d’assurer de manière pérenne
les conditions d’exercice de notre métier, de garantir une liberté
pédagogique pleine et entière, d’accueillir et d’écouter la parole des
enseignants et de renforcer durablement l’enseignement de nos
disciplines, porteuses des savoirs fondamentaux de ce qui fait la
République.
Comme en 2015, face à cette tragédie qui nous affecte profondément,
professeurs, administration, parents d’élèves sont côte à côte, unis
dans une même préoccupation – celle de nos élèves et étudiants –, pour
garder le cap et inventer un nouveau consensus pour bâtir l’Education
nationale de demain.
Nous serons présents lors des rassemblements qui se tiendront dans toute la France aujourd’hui et demain,
notamment Place de la République à Paris, dimanche 18 octobre à 15 h,
afin de rendre hommage à cette victime du terrorisme islamiste et de
dire notre colère, notre indignation et notre détermination face à ceux
qui veulent imposer la barbarie.
Nous appelons à un temps de discussion, de recueillement et
de pédagogie auprès de nos élèves, en présence des équipes éducatives,
lundi 2 novembre, dans tous les établissements scolaires.