mercredi 16 mars 2022

L’historien Philippe Contamine est mort

Ce spécialiste de l’histoire de France au XVe siècle, auteur de plusieurs ouvrages sur Jeanne d’Arc, est mort le 26 janvier, à l’âge de 89 ans.  

L’historien Philippe Contamine est mort le 26 janvier, à Paris, à l’âge de 89 ans. Il était connu pour être l’un des meilleurs spécialistes français de Jeanne d’Arc et de l’histoire de la France au XVe siècle. Né le 7 mai 1932 à Metz, il grandit dans une famille marquée par les guerres contre l’Allemagne. Son père, Henry Contamine (1897-1974), engagé très jeune, à 17 ans, pendant la première guerre mondiale, fut un spécialiste d’histoire militaire reconnu, dont les ouvrages La Revanche 1871-1914 (Berger-Levrault, 1957) et La Victoire de la Marne, 9 septembre 1914 (Gallimard, 1970) firent longtemps autorité.

Philippe Contamine quitte Metz lorsque son père est nommé professeur d’histoire à la faculté de lettres de Caen. Après des études secondaires au lycée Hoche à Versailles et au lycée Louis-le-Grand à Paris (hypokhâgne et khâgne), il passe l’agrégation d’histoire en 1956. Contrairement à son père, il met l’histoire contemporaine à distance, préférant se pencher sur l’histoire médiévale. Mais il opte pour le même objet historique : la guerre. Sa thèse intitulée Guerre, Etat et société à la fin du Moyen Age. Etudes sur les armées des rois de France (1337-1494), soutenue en 1969, est publiée chez La Haye Mouton en 1972.

Dans les années 1960, Philippe Contamine publie ses premiers ouvrages sur la société guerrière du XVe siècle. « Incontestablement, la période médiévale, dans son ensemble, est un moment où la guerre n’a rien de honteux. Elle est une calamité, tout le monde en convient, mais en même temps elle est dans l’ordre des choses », dira l’auteur d’Azincourt (Julliard, 1964) et de La guerre de Cent Ans (PUF, 1968), deux volumes maintes fois réédités.

Assistant à la Sorbonne, puis maître de conférences, il devient professeur d’histoire médiévale à l’université Nancy-II, à partir de 1970. Pur produit de l’école des Annales, il s’intéresse, dans La Vie quotidienne pendant la guerre de Cent Ans : France et Angleterre, XIVe siècle (Hachette, 1976), à l’économie, mais aussi à la vie privée, à la noblesse comme classe sociale et comme milieu, au rôle des chevaux et à l’exercice du pouvoir....

vendredi 11 mars 2022

Sujets des écrits de l'agrégation externe de géographie 2022

 


Les épreuves d'admissibilité de l’agrégation externe de géographie se sont déroulé la semaine du 21 février 2022. La session 2022 a donné lieu aux sujets suivants en géographie :

  • Composition de géographie thématique : Les effets-frontières sur les territoires.
  • Composition de géographie des territoires : Environnement, conflits et territoires en Amérique latine.
  • Épreuve sur dossier :
    • option A « espace, territoire, société » : Les utopies urbaines.
    • option B « milieux et environnement » : Les espèces invasives, objet géographique.
    • option C « aménagement » : Aménagement urbain et exclusion.
  • Composition d'histoire : Le prêtre et le magistrat dans le monde romain (histoire ancienne).

À l'agrégation d'histoire, la composition de géographie portait sur : Frontières et migrations.

 

Évoquer la guerre en Ukraine dans nos classes - quelques pistes

 


Par Thibaut Poirot.

Comme à chaque évènement pour lequel nos points de référence vacillent, il convient d’appliquer ce qui est le cœur même de notre métier : faire comprendre. Les questions des élèves peuvent apparaître désarmantes, elles permettent de voir qu’ils sont très perméables à des sources d’informations biaisées : comptes d’infotainment qui annoncent la guerre nucléaire ou entretiennent un sensationnalisme de mauvaise aloi. Le conseil de prudence à donner à chaque professeur est bien de prendre le contrôle de sa séance, en posant d’abord des cadres, avant d’accueillir des questions des élèves.
Le retour de la guerre en Europe suppose de saisir la situation sans mauvaises comparaisons, qui s’avèreraient ici inutile pour des jeunes lycéens ou collégiens en âge de comprendre.

1. Remettre une perspective historique

Revenir sur l’indépendance ukrainienne suite à la dislocation de l’URSS apparaît incontournable. La date-césure de 1991, répétée dans les programmes scolaires, doit servir de porte d’entrée. Faire saisir aux élèves l’importance de cette date permet ensuite d’évoquer avec eux la dénucléarisation du jeune Etat ukrainien en 1994 (mémorandum de Budapest garantissant les frontières de l’Ukraine en échange du renoncement à son arsenal nucléaire hérité de l’URSS). La « révolution orange » permet de saisir enfin le premier éloignement de l’Ukraine à l’égard de la Russie. Cette première crise ukrainienne illustre la panoplie des pressions russes, parallèle à la consolidation du pouvoir de Vladimir Poutine. (Lien INA ) La deuxième crise en 2014 est davantage complexe à faire saisir : la place Maidan et les affrontements entre manifestants pro-européens et pouvoir en place peuvent servir de cadre-symbole. L’évènement Maidan permet ensuite de présenter les modes de guerre hybride russes en Crimée (« petits hommes verts ») et dans le Donbass (soutien aux séparatistes, envoi de systèmes d’armes comme des missiles antiaériens). Les accords de Minsk peuvent être évoqués sous l’angle de la ligne de cessez-le-feu, principale réalisation de l’accord avec des observateurs nombreux de l’OSCE.

2. Comprendre la « haute intensité »

L’agression russe contre l’Ukraine se caractérise par l’emploi des moyens dits de « haute intensité » : frappes multiples, utilisations massives de blindés, action dans les quatre dimensions. Ce retour de la haute-intensité, pris en compte par les états-majors, donne lieu à d’importants débats stratégiques (cf. Le Collimateur, podcast de l’IRSEM, septembre 2021).
Sans entrer dans le détail de l’armement, un détour par la guerre de Géorgie en 2008 peut permettre aux élèves de comprendre l’emploi de la guerre électronique et de la « guerre informationnelle » dans le cadre d’un conflit de haute-intensité (cf. Stéphane Taillat, Amaël Cattaruzza, Didier Danet (dir.), La Cyberdéfense : politique de l’espace numérique, Armand Colin, 2019, p. 204-205). Il convient ensuite de s’appuyer sur une chronologie simple des évènements depuis l’hiver 2021 en Ukraine : le renforcement progressif des forces russes, la justification « historique » de Vladimir Poutine et ses exigences de « démilitarisation » et « dénazification » de l’Ukraine. Une carte des opérations militaires régulièrement publiée par le Monde permet de saisir l’encerclement de l’Ukraine par les forces russes (avant/ après le déclenchement des hostilités).

3. Quelles ruptures stratégiques ?

Donner des réponses aux élèves sur le « monde d’après » n’a pas grand sens, tant que des opérations militaires sont en cours. Les développements économiques (pétrole, gaz, blé) semblent également incertains, tant que le régime des sanctions américaines et européennes n’est pas pleinement connu.
Il semble toutefois opportun de rappeler les différents engagements de la France : posture de dissuasion (un sous-marin nucléaire lanceur d’engins de manière permanente à la mer, forces aériennes), engagement dans l’OTAN (cf. Tristan Lecoq, Enseigner la défense, livret pédagogique en ligne, p. 26-27). Le renforcement prévu et annoncé du « flanc est » de l’OTAN permet d’évoquer avec une carte l’engagement de l’armée française au sein de la Mission Lynx en Estonie (Dossier de presse MINARM, octobre 2021).
Il convient enfin de sensibiliser les élèves à la nouveauté de l’OSINT (open source intelligence) et sa pratique. La vérification des vidéos, photographies, données cartographiques par recoupement des informations glanées en open source permet de comprendre les multiples facettes de la guerre. On peut voir par exemple le travail de @EydouxT pour France 24 sur Twitter. Pour les développements contemporains sur l’OSINT, cf. Olivier Chopin et Benjamin Oudet, Renseignement et sécurité, Armand Colin, 2019, p. 171-174.
Les élèves sont, comme membres de toutes les sociétés occidentales, des cœurs de cible dans le cadre de la guerre informationnelle. Leur enseigner quelles armes médiatiques en France sont à la disposition de la Russie est essentiel. L’effet de sidération d’une « guerre des réseaux », y compris dans les réseaux les plus ludiques pour les adolescents, ne doit pas être négligé. Remettre l’information au milieu du village n’est pas seulement une simple démarche d’éducation aux médias, c’est un devoir démocratique tant l’effet moral de l’effroi est recherché dans l’opération russe.

Outre les ressources mentionnées ici, on peut mentionner dans la sphère francophone les comptes twitter de @benvtk @Paugog (journalistes), @colinlebedev (maîtresse de conférence en sciences politiques spécialiste des espaces russes), @JosephHenrotin et @DSI_Magazine (pour les aspects militaires). De nombreux collègues spécialisés (@LukasAubin, @LPetiniaud, @kevinlimonier) sur l’espace russe fournissent également des matières à réflexions, des liens et des comptes à suivre.

Pour les outils cartographiques, on renverra vers les indispensables François-Xavier Nérard et Marie-Pierre Rey, Atlas historique de la Russie, Autrement 2017 et Christian Grataloup, Atlas historique mondial, les Arènes, 2019.

© Thibaut Poirot pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 25/02/2022.

 

Le podcast « Passe ton agreg ! » de Caroline Pigache

 

Entretien audio avec Caroline Pigache, à propos de son podcast « Passe ton agreg ! », réalisé le 15 février 2022. Elle nous présente la genèse de son projet, ses aspects techniques et ses évolutions.

Par Céline Delorge.

Pour rappel, les podcasts ont le vent en poupe depuis quelques années : il s’agit d’émissions radio disponibles sur internet et sur différentes plateformes d’écoute, souvent en format audio (plus léger en bande passante), qui peuvent être réécoutées et téléchargées sur différents supports numériques. La fluidité des podcasts, découpés en épisodes, pouvant être écoutés partout grâce aux smartphones, les transforme en phénomène culturel.

Caroline Pigache a été admise à l’agrégation d’histoire-géographie en 2021, après une année de préparation et de découverte d’un concours interne aux modalités différentes de l’agrégation externe : quatre questions à préparer pour les écrits, trois épreuves écrites, deux oraux portant sur des sujets en lien avec les programmes d’histoire-géographie en collège et lycée général et technologique.

Elle y décrit les différentes aspects de la préparation au concours, tant matérielle que psychologique, pour des collègues qui sont déjà en poste et qui doivent le plus souvent jongler entre cours, vie familiale et préparation
Elle a souhaité partager sa méthode, son travail d’organisation et de gestion des (fortes) émotions liées au concours (démotivation, stimulation intellectuelle, incertitudes, stress, etc.)
Ce projet a pris forme dès la rentrée 2021, sous la forme d’un podcast intitulé « Passe ton agreg ! », disponible sur différentes plateformes de podcasts et sur le site auquel il est adossé.
Il existe pour le moment 15 épisodes, comme autant d’étapes dans la préparation du concours, et il ont trouvé leur public : la voix bienveillante et dynamique de Caroline a guidé de nombreux candidats ces derniers mois pendant leur préparation, les écrits en janvier et la préparation des oraux actuellement.

Nous vous proposons cet entretien sous forme audio, évidemment !

 © Céline Delorge pour Historiens & Géographes et Caroline Pigache pour Passe ton agreg ! - Tous droits réservés. 24/02/2022.

jeudi 10 mars 2022

Adresse de l’APHG aux candidats à l’élection présidentielle


A l’heure où va bientôt avoir lieu la consultation électorale la plus importante de notre pays, l’APHG souhaite dire ses quatre vérités aux candidates et aux candidats qui se présenteront au suffrage de nos concitoyens.

1) L’Histoire n’est pas un roman – noir ou rose – y compris lorsqu’elle explore le passé de la France ou de l’Europe. C’est une discipline exigeante dont la pratique nécessite de ses producteurs comme des professeurs qui l’enseignent probité, nuance et maîtrise de la complexité. La Géographie ne saurait être réduite à un enseignement de problématiques économiques ou à la connaissance minimale d’une identité territoriale sans aucun lien avec la recherche universitaire la plus récente ni réflexion sur l’emboîtement complexe des échelles de référence (du local au global).

2) La recherche en Histoire et en Géographie doit rester libre car elle a ses propres règles qui excluent de facto les falsificateurs ou les négateurs du passé comme les nostalgiques des « frontières naturelles ». Le pouvoir politique n’a pas vocation à imposer une « histoire et une géographie officielles » ni à sanctionner ou à valider les résultats d’une recherche qui sera de toute façon toujours contestée ou « révisée » par le légitime jeu du débat académique.

3) L’Histoire – et la Géographie – ne sont pas des « boîtes à outils » ou des « carquois » à l’usage des affrontements politiques. Il est en effet très facile d’utiliser, dans les actuels débats pour la présidentielle, tels ou tels événements historiques comme autant de flèches tirées contre l’adversaire. Mais l’Histoire ne peut se réduire à un arsenal d’arguments ou de slogans pour politiques, « politistes » et « communicants » en mal de coups d’éclats et de triomphes faciles. D’où l’importance de permettre au peuple citoyen de déjouer ces mésusages de l’Histoire en renforçant son instruction et sa culture historique et géographique.

4) L’Histoire et la Géographie ne peuvent pas être l’apanage des seuls « esprits distingués » et des élites du savoir ou de l’argent. Ce sont en effet des matières citoyennes qui ont joué hier, depuis l’instauration du suffrage universel, un rôle essentiel dans la formation du citoyen français et qui doivent articuler, dès aujourd’hui, la souveraineté nationale et la concorde européenne accessible par une bonne connaissance du passé de notre continent. Il s’agit là d’une nécessité si nous voulons rester vraiment « souverains » en ce siècle où l’isolement, se veuille-t-il splendide, met en danger les nations

En conséquence, l’APHG demande aux candidats de s’engager sur :

1) Un renforcement de l’enseignement de l’Histoire et de la Géographie à tous les niveaux de l’enseignement et dans tous les types d’établissements du cycle Secondaire qu’ils soient généraux, technologiques ou professionnels. A l’inverse de ce qui a été mis en œuvre, un effort devra être particulièrement fait en direction des enfants qui suivent les parcours scolaires considérés – à tort – comme les moins « prestigieux », car ils seront citoyens comme les autres et leur voix pèsera autant que celle du bachelier de tel ou tel grand lycée de centre-ville.

2) Une réorientation des programmes de Géographie qui devront faire une plus grande place qu’aujourd’hui à l’Europe en l’abordant sous le double angle géopolitique et régional. Il s’agira à la fois de faire percevoir l’Europe dans son environnement mondial et dans son environnement régional, au sens géographique du terme qui est celui des Etats. Car la vraie prise de décision politique ne se fait pas au niveau des départements ou des régions. La géographie des Etats n’est plus du tout enseignée aujourd’hui, y compris celle de la France. Or, c’est par la conscience nationale que le futur citoyen doit s’ouvrir à de nouveaux horizons.

3) Une réorientation des programmes d’Histoire qui devront traiter une part plus importante des événements à l’échelle européenne : c’est déjà le cas avec l’étude du christianisme médiéval, de la Renaissance, des Lumières, de la Révolution française ou du mouvement libéral qui la suit. Il faudra amplifier cette tendance. Il faudra aussi, et surtout, ne pas jeter un voile pudique sur les divisions des peuples européens – et notamment sur les multiples guerres qu’ils ont eues entre eux – car elles sont incontournables dans l’histoire du continent et elles expliquent, en grande part, notre faiblesse géopolitique actuelle.

4) Une revalorisation du statut de professeur d’histoire-géographie, qui passe comme pour les collègues des autres disciplines, par une augmentation des salaires, tombés aujourd’hui scandaleusement bas par rapport à ceux qui existent ailleurs en Europe ; mais qui passe aussi, dans les concours de recrutement, par le renforcement de la part accordée à l’évaluation scientifique et disciplinaire du futur enseignant. On ne peut pas en effet demander à un professeur d’enseigner efficacement l’histoire et la géographie de la France et de l’Europe – et de les faire aimer – si sa connaissance personnelle de l’une et de l’autre est approximative, superficielle ou indigente.

Le Bureau national de l’APHG.

© Les services de la Rédaction d’Historiens & Géographes, 09/03/2022. Tous droits réservés.