Par Thibaut Poirot.
Comme à chaque évènement pour lequel nos points de référence
vacillent, il convient d’appliquer ce qui est le cœur même de notre
métier : faire comprendre. Les questions des élèves peuvent apparaître
désarmantes, elles permettent de voir qu’ils sont très perméables à des
sources d’informations biaisées : comptes d’infotainment qui
annoncent la guerre nucléaire ou entretiennent un sensationnalisme de
mauvaise aloi. Le conseil de prudence à donner à chaque professeur est
bien de prendre le contrôle de sa séance, en posant d’abord des cadres,
avant d’accueillir des questions des élèves.
Le retour de la guerre en Europe suppose de saisir la situation sans
mauvaises comparaisons, qui s’avèreraient ici inutile pour des jeunes
lycéens ou collégiens en âge de comprendre.
1. Remettre une perspective historique
Revenir sur l’indépendance ukrainienne suite à la dislocation de l’URSS apparaît incontournable. La date-césure de 1991, répétée dans les programmes scolaires, doit servir de porte d’entrée. Faire saisir aux élèves l’importance de cette date permet ensuite d’évoquer avec eux la dénucléarisation du jeune Etat ukrainien en 1994 (mémorandum de Budapest garantissant les frontières de l’Ukraine en échange du renoncement à son arsenal nucléaire hérité de l’URSS). La « révolution orange » permet de saisir enfin le premier éloignement de l’Ukraine à l’égard de la Russie. Cette première crise ukrainienne illustre la panoplie des pressions russes, parallèle à la consolidation du pouvoir de Vladimir Poutine. (Lien INA ) La deuxième crise en 2014 est davantage complexe à faire saisir : la place Maidan et les affrontements entre manifestants pro-européens et pouvoir en place peuvent servir de cadre-symbole. L’évènement Maidan permet ensuite de présenter les modes de guerre hybride russes en Crimée (« petits hommes verts ») et dans le Donbass (soutien aux séparatistes, envoi de systèmes d’armes comme des missiles antiaériens). Les accords de Minsk peuvent être évoqués sous l’angle de la ligne de cessez-le-feu, principale réalisation de l’accord avec des observateurs nombreux de l’OSCE.
2. Comprendre la « haute intensité »
L’agression russe contre l’Ukraine se caractérise par l’emploi des
moyens dits de « haute intensité » : frappes multiples, utilisations
massives de blindés, action dans les quatre dimensions. Ce retour de la
haute-intensité, pris en compte par les états-majors, donne lieu à
d’importants débats stratégiques (cf. Le Collimateur, podcast de l’IRSEM, septembre 2021).
Sans entrer dans le détail de l’armement, un détour par la guerre de
Géorgie en 2008 peut permettre aux élèves de comprendre l’emploi de la
guerre électronique et de la « guerre informationnelle » dans le cadre
d’un conflit de haute-intensité (cf. Stéphane Taillat, Amaël Cattaruzza,
Didier Danet (dir.), La Cyberdéfense : politique de l’espace numérique,
Armand Colin, 2019, p. 204-205). Il convient ensuite de s’appuyer sur
une chronologie simple des évènements depuis l’hiver 2021 en Ukraine :
le renforcement progressif des forces russes, la justification
« historique » de Vladimir Poutine et ses exigences de
« démilitarisation » et « dénazification » de l’Ukraine. Une carte des
opérations militaires régulièrement publiée par le Monde permet de saisir l’encerclement de l’Ukraine par les forces russes (avant/ après le déclenchement des hostilités).
3. Quelles ruptures stratégiques ?
Donner des réponses aux élèves sur le « monde d’après » n’a pas grand
sens, tant que des opérations militaires sont en cours. Les
développements économiques (pétrole, gaz, blé) semblent également
incertains, tant que le régime des sanctions américaines et européennes
n’est pas pleinement connu.
Il semble toutefois opportun de rappeler les différents engagements de
la France : posture de dissuasion (un sous-marin nucléaire lanceur
d’engins de manière permanente à la mer, forces aériennes), engagement
dans l’OTAN (cf. Tristan Lecoq, Enseigner la défense, livret pédagogique en ligne, p. 26-27).
Le renforcement prévu et annoncé du « flanc est » de l’OTAN permet
d’évoquer avec une carte l’engagement de l’armée française au sein de la
Mission Lynx en Estonie (Dossier de presse MINARM, octobre 2021).
Il convient enfin de sensibiliser les élèves à la nouveauté de l’OSINT
(open source intelligence) et sa pratique. La vérification des vidéos,
photographies, données cartographiques par recoupement des informations
glanées en open source permet de comprendre les multiples facettes de la
guerre. On peut voir par exemple le travail de @EydouxT pour France 24
sur Twitter. Pour les développements contemporains sur l’OSINT, cf.
Olivier Chopin et Benjamin Oudet, Renseignement et sécurité, Armand Colin, 2019, p. 171-174.
Les élèves sont, comme membres de toutes les sociétés occidentales, des
cœurs de cible dans le cadre de la guerre informationnelle. Leur
enseigner quelles armes médiatiques en France sont à la disposition de
la Russie est essentiel. L’effet de sidération d’une « guerre des
réseaux », y compris dans les réseaux les plus ludiques pour les
adolescents, ne doit pas être négligé. Remettre l’information au milieu
du village n’est pas seulement une simple démarche d’éducation aux
médias, c’est un devoir démocratique tant l’effet moral de l’effroi est
recherché dans l’opération russe.
Outre les ressources mentionnées ici, on peut mentionner dans la sphère francophone les comptes twitter de @benvtk @Paugog (journalistes), @colinlebedev (maîtresse de conférence en sciences politiques spécialiste des espaces russes), @JosephHenrotin et @DSI_Magazine (pour les aspects militaires). De nombreux collègues spécialisés (@LukasAubin, @LPetiniaud, @kevinlimonier) sur l’espace russe fournissent également des matières à réflexions, des liens et des comptes à suivre.
Pour les outils cartographiques, on renverra vers les indispensables François-Xavier Nérard et Marie-Pierre Rey, Atlas historique de la Russie, Autrement 2017 et Christian Grataloup, Atlas historique mondial, les Arènes, 2019.
© Thibaut Poirot pour Historiens & Géographes - Tous droits réservés. 25/02/2022.
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