mardi 3 novembre 2020

Nous sommes professeurs d’histoire-géographie


 
Vendredi 16 octobre 2020. Un homme est assassiné dans une ville de France. Cet homme avait un nom : Samuel Paty. Cet homme avait un métier : professeur d’histoire-géographie. Le nôtre. Il a été tué parce qu’il était notre collègue et faisait son métier comme nous le faisons. L’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG) s’incline humblement devant sa mémoire et nous, professeurs, entourons sa famille, ses proches, ses collègues et ses élèves de toute notre affection. Toutes et tous sidérés, nous vivons aujourd’hui le temps du deuil. Cet acte barbare inqualifiable nous plonge dans l’effroi mais ne nous laissera pas sans voix.

Les questions ne cessent de se bousculer depuis hier soir face à ce crime odieux. Comment continuer à enseigner et à faire aimer ce beau métier aux plus jeunes collègues, qui nous rejoignent ? Comment éviter l’autocensure face à la haine ? Comment éviter les instrumentalisations, qui ne manqueront pas de survenir ? La Justice fera toute la lumière sur les circonstances de ce meurtre ignoble et lâche ; la République le doit à un historien-géographe de métier et à un fonctionnaire de l’Etat.
Au-delà des mots et de l’émotion partagée, l’APHG est convaincue que c’est en redonnant un idéal républicain à toute la jeunesse par l’éducation, le savoir et la tolérance que l’obscurantisme sera vaincu. L’Histoire, la Géographie et l’Enseignement Moral et Civique ne sauraient porter à elles seules cet idéal, constamment à promouvoir, mais ces disciplines y contribuent pleinement, et en première ligne.

Professeur, Samuel Paty l’était, par sa formation intellectuelle et l’exercice d’un métier. L’enseignant d’histoire-géographie est toujours tendu entre deux registres dans son activité professionnelle ; l’histoire et la géographie scientifiques, universitaires, d’une part, et l’histoire et la géographie adossées à la société, dont elle ne peut ni en ignorer les remous, ni éviter d’en ressentir les effets, d’autre part. En 2015, après les attentats, l’APHG a mené des enquêtes auprès des enseignants et a publié des témoignages inédits [1]. Elle a poursuivi ce travail sur le terrain. Nous ne pouvons cacher que des fissures, dont on connaissait déjà la présence, se révèlent plus profondes, répandues, rendant plus criantes encore les situations d’inégalités entre les territoires et les atteintes aux valeurs de la République, notre bien commun. Des groupes multiples et d’intérêts divers, entretenant la confusion des vocabulaires sur la laïcité, la liberté d’expression, la liberté de conscience ou l’enseignement du fait religieux, tentent de plus en plus ouvertement de faire prévaloir au sein de l’Ecole leur point de vue particulier. L’APHG réaffirme avec force l’autonomie des professeurs - la liberté pédagogique -, en ce qui concerne les contenus de l’enseignement. L’enseignant est maître d’ouvrage dans sa classe, dans le cadre strict des prescriptions des programmes pilotés par l’Etat et dans la mesure où ce qui est enseigné s’inscrit dans les limites du consensus scientifique établi par les méthodes de la recherche la mieux informée et renouvelée. La liberté pédagogique est ainsi constitutive de notre école, elle consiste à chercher et dire le vrai, et aucun groupe ne peut s’arroger le droit de dicter ce que nous devons dire et enseigner en classe. C’est en exerçant son métier, par la Connaissance, que le professeur émancipe ses élèves.

Fonctionnaire, Samuel Paty incarnait l’autorité de l’Etat. Le fonctionnaire de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur apporte non seulement à ses élèves des outils intellectuels avec des gestes professionnels précis et adaptés à l’âge de chacun comme au contexte d’enseignement, mais il a pour ambition d’en faire des citoyens libres, respectueux, éclairés, capables de débattre avec des mots ; à l’opposé de toute soumission ou de toute violence physique. Il se pose inlassablement cette question dans l’exercice de son métier : comment faire vivre ensemble, au sein d’une même société, toute notre jeunesse ? Par une notion élaborée par l’Histoire et par l’expérience, la République, qui ne veut ni contraindre, ni exclure, ni construire murs et séparations, a choisi la laïcité. C’est bien dans ce cadre, matrice des libertés fondamentales, celles de croire, de ne pas croire, ou de changer de croyance, que le fonctionnaire agit.

L’APHG tient ainsi à promouvoir un esprit de résistance face à l’obscurantisme et à la terreur.

Nous tenons à affirmer avec la plus grande fermeté notre attachement sans failles à un enseignement qui ouvre les élèves à l’esprit critique et à la liberté du jugement individuel. C’est une condition indispensable à la réalisation d’un régime démocratique et d’une société apaisée.

Cela implique un travail de fond dans les classes à tous les niveaux. Nous avons la conviction que les enseignants continueront à enseigner dans cette direction avec le soutien de l’institution.

Cela nécessite, de la part de l’Etat, d’assurer de manière pérenne les conditions d’exercice de notre métier, de garantir une liberté pédagogique pleine et entière, d’accueillir et d’écouter la parole des enseignants et de renforcer durablement l’enseignement de nos disciplines, porteuses des savoirs fondamentaux de ce qui fait la République.

Comme en 2015, face à cette tragédie qui nous affecte profondément, professeurs, administration, parents d’élèves sont côte à côte, unis dans une même préoccupation – celle de nos élèves et étudiants –, pour garder le cap et inventer un nouveau consensus pour bâtir l’Education nationale de demain.

Nous serons présents lors des rassemblements qui se tiendront dans toute la France aujourd’hui et demain, notamment Place de la République à Paris, dimanche 18 octobre à 15 h, afin de rendre hommage à cette victime du terrorisme islamiste et de dire notre colère, notre indignation et notre détermination face à ceux qui veulent imposer la barbarie.

Nous appelons à un temps de discussion, de recueillement et de pédagogie auprès de nos élèves, en présence des équipes éducatives, lundi 2 novembre, dans tous les établissements scolaires.

 

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